Sentinelles de l’éphémère


SIMG7385.jpg Au mois d’août 2006 j’ai répondu à un appel d’offre de la Mairie de Béville-le-Comte. Il s’agissait de réaliser une œuvre d’art pour le Parc de l’épouvantail. Présélectionné je m’y suis rendu avec deux sculptures représentant un couple d’épouvantail.

Les jurés après délibération m’ont fait savoir que mon projet n’avait pas été retenu. C’est à cette lettre de refus que je réponds aujourd’hui. Histoire de prolonger un peu le dialogue d’une façon plus détendue, maintenant que je peux desserrer la cravate…


Mesdames, Messieurs,

J’ai bien reçu votre lettre de condoléances. Ainsi va l’avis dans nos démocraties !

A vrai dire, je n’étais moi-même pas bien sûr d’être le mieux disant épouvantable ce jour là. En effet, d’habitude, je fabrique mes personnages avec des objets mis au rebut. C’est pour moi l’occasion de sauver de la casse des ustensiles dont la forme, la matière, et le souvenir, m’émeuvent, il n’est pas exagéré de le formuler ainsi.Ainsi donc je m’émerveille dans les décharges et autres lieux d’abandons…

Quand j’ai appris qu’un concours de beauté d’épouvantails était organisé par votre village Beauceron, je me suis dit que telle Peau-d’Ane, l’anneau allait glisser à mon doigt comme dans le Comte, et les piécettes dans mon escarcelle…
Hélas, les haillons dont étaient vêtues mes sculptures, tuyaux de poêle rouillés, arrosoirs percés et cabossés, vieilles capsules etc., le tout vissé à la va vite, me firent douter de mes chances pour figurer sur le podium. Je décidais alors de vous proposer quelque chose de mieux fait, de bien solide, de résistant aux intempéries, d’inoxydable, d’antirouille, d’antivol, de méritant.
Qu’en quelque sorte vous en ayez pour votre argent ![[6000 euros]]

Si je vous écris si longuement, c’est que j’ai ma petite idée à propos des épouvantails et que le sujet vous intéresse autant que moi. Question d’éthique, n’ayons pas peur des mots : l’épouvantail, par essence, voyez-vous, est la sculpture du pauvre, du jardinier, du paysan.
Elle est maladroite, poétique et rigolote. Aucun savoir-faire. Tout le monde peut en faire autant, se dit le passant. Elle est la simplicité, l’œuvre du bricoleur.
Elle est faite de bric et de broc, se construit rapidement.
Elle ne concoure pas pour l’éternité. Elle dit la poésie du haillon. Elle n’est pas l’homme, elle l’évoque, elle porte ses défroques. Elle s’adresse aux petits oiseaux.
Elle figure l’absence.

La sculpture descend de l’épouvantail comme l’homme descend du singe. Jamais elle n’est savante, urbaine, impérissable. Elle voit le jour, soit en plein champ, soit au milieu d’un potager. Certes d’autres sculptures aiment le plein air. Ainsi nos calvaires pour que le ciel ne nous tombe pas sur la tête et nos monuments aux morts, oeuvres talentueuses de nos sculpteurs urbains.

Mais notre propos est tout autre. Tout ça pour vous dire qu’ici même pousse dans mes prés, toute une population de pouilleux qui rouillent aux quatre vents. Je suis un sculpteur d’épouvantails. Les petits oiseaux en sont contents et les passants enchantés.
Certes ici même, ils se vendent à moins offrant, et à des prix plus attractifs. Ainsi donc vous en avez acheté deux pour le prix d’un, pour tout vous dire[[700 euros (indemnités de concours)]], ce qui sommes toutes est une bonne affaire. Le marché n’étant pas de dupe je ne m’en plains pas ! Prenez en soin car ils ne valent rien, comme tout épouvantail, Rappelons-le.

Ce que je voudrais vous vendre, car je ne renonce pas si facilement, surtout quand c’est moi qui propose, c’est une exposition temporaire en plein champ, puisque Beauce il y a.

Une intervention, comme on dit.

Pour que mes chers épouvantails s’ébattent dans la campagne pour le plaisir des petits et grands!
Une exposition temporaire de « sentinelles de l’éphémère »[[Titre du livre de Cozzi Sergio]]

Les CD que je vous joins vous donneront une idée de ce que pourrait être un grand rassemblement de mes personnages, petits et grands et de leurs animaux de compagnie. Il s’agit là d’une variation sur le thème de l’épouvantail par un même artiste :

Un plein champ de grands piquets plantés en pleine terre sur lesquels toutes les sculptures s’emboîtent, bordés d’un alignement de personnages dits « piquets de clôture » agrippés à un fil d’Ariane barbelé.

De la s’culture

C’est simple à faire et à défaire.
Si le projet vous intéresse, ce que j’espère, puisqu ‘ainsi donc de concert nous épouvantons, je vous louerais bien volontiers, pour un laps de temps à déterminer, et une somme rondelette, une partie de mon cheptel modeste, épouvantesque et guignolesque.

Très cordialement,

Pierre Prevost


Avant même l’envoi de ma lettre, je reçois un appel de la Mairie de Béville-le-Comte, me demandant l’autorisation d’utiliser une photo de mes épouvantails pour leurs cartons d’invitation. Me voici au centre de la manifestation. Décidément il me faudra m’habituer d’avantage à ne rien comprendre.

Ce texte, car c’est un texte avant d’être une lettre, illustre à sa façon , ma manière de travailler.
Il éclaire ma démarche en quelques sortes et les embuches sur le chemin.

Ainsi peut-il, naturellement, avoir son mot à dire sur mon site in.