Piquets de clôture Gaillac 2004


Sculptures au grand air, grand art en pleine terre !

affiche01.jpg Il est donc encore des rencontres artistiques réconfortantes.
Au milieu de l’effroyable disette d’invention qui sévit presque en proportion de la cohue grossissante des manifestations sur le marché culturel estival, un rare bonheur vient de nous être donné, celui de pouvoir enfin voir une « exposition »! Une oeuvre en situation, travaillée, mise en place par un homme sincère et curieux, une oeuvre dont l’effort personnel, brisant la convention des moules et des clichés convenus, vous ouvre, non seulement en esthétique mais aussi humainement et socialement, des horizons – au sens propre – non encore cent fois vus. J’ai nommé Pierre Prevost.

Après les boîtes aux lettres (2002), les épouvantails (2003), c’est toujours le petit village de Gaillac, près Cajarc, dans le Lot, qui sert d’espace naturel où vivent ses nouvelles créations/créatures, des sculptures piquets de clôtures.

Oui, vous avez bien lu : l’objet de cette exposition n’est que de présenter d’esthétiques, certes, mais aussi solides et fort utilitaires piquets de clôtures !

Avec ces objets, Pierre Prevost aura eu du moins pour lui de porter la tête sur ses épaules au milieu d’une société qui porte l’art à hauteur du nombril !

Elles sont là, au grand air, en plein vent, luisantes d’intempéries ou éclatantes de soleil, les sculptures de Pierre Prevost ! Elles tiennent le coup au milieu du vaste espace ; elles respirent, elles parlent, elles crient ! La seule poussière qui peut momentanément les recouvrir est celle des grands chemins soulevée par les tracteurs et autres engins agricoles.

Nous sommes bien loin des temples de la culture, de ces lieux où, de surcroît, on chuchote. Ici, au contraire, devant les sculptures de Pierre Prevost, on parle haut, on parle fort, on rit, on s’esclaffe. Aucune sacralisation : on touche, on tourne autour, on montre du doigt! C’est sans gène que l’on critique, que l’on choisit, préfère, dénigre ou admire.

Ajoutons immédiatement pour éviter toute méprise qu’il ne s’agit pas ici de « Land art » ou autre manifestation incongrue plaquée artificiellement en un lieu intellectuellement choisi.

Les agriculteurs locaux sont les premiers concernés et ils participent activement non à une quelconque mise en scène mais à la résurgence d’un art populaire, à l’éclosion d’une création qui n’apparaît spontanée que parce qu’elle est enracinée dans une histoire refoulée.

Ici, le jeu, la dépense festive, la pure gratuité l’emportent sur toutes autres considérations. Voici sans doute pourquoi les sculptures de Pierre Prevost, toutes bien individualisées malgré la pauvreté des matériaux utilisés, procurent une telle joie. Elles peuvent être agressives, inquiétantes ou bien attendrissantes, amusantes… elles nous mettent en joie car toujours elles se jouent de nous.

Face à elles nous retrouvons l’émotion primitive devant le fétiche : une connivence intime dans un espace public. Ces piquets de clôture ne tracent pas une limite mais un no man’s land, une bande en friche, lieu de tous les possibles, espace de libertés.

Voilà sans doute pourquoi cet art qui se veut humble est hors-normes, cet art du commun si singulier.
Une chose est certaine en allant respirer à Gaillac avec les sculptures de Pierre Prevost, nous ne succomberons pas à l’un des symptômes spectaculaires les plus déconcertants de notre époque : la promiscuité dans l’admiration.

[Jean-François MAURICE, Cahors, 14 juillet 2004]