Epouvantails Gaillac 2003


Des épouvantails en rossignols

affiche02.jpg Les objets à la retraite ont trouvé un petit métier. Ils font épouvantail chez Pierre Prevost.

Comme chacun sait, les épouvantails chassent les oiseaux qui viennent se goinfrer de graines ou de fruits. Ils protègent nos récoltes des malheurs qui pourraient s’abattre du ciel. Ils rappellent les dieux de l’ancien temps, à qui l’on venait offrir le lait ou l’agneau en échange d’une année prospère. Mais ils ne sont pas taillés dans le marbre, pas même modelés dans l’argile. Traditionnellement: deux bâtons liés en croix, de vieilles hardes bourrées de paille, un chapeau cabossé par là-dessus… Il suffit que le vent agite un pan de haillon, et voici l’homme. Ou presque.

Les épouvantails de Pierre Prevost sont enfants de la visseuse et de la décharge à ciel ouvert. Ce sont des assemblages d’objets de la vie de tous les jours. Arcimboldo de la déchetterie, l’artiste offre une seconde jeunesse à Monsieur Bouchon et un lifting à Madame Tuyau de poêle. Disons qu’il fabrique des épouvantails avec des rossignols. Et c’est bien entendu le seul artiste au monde à faire cela.

Comme on aimerait avoir cette chance, nous aussi ! être transformés en objet poétique le jour de notre mise au rencard. Sûr qu’on pourrait être améliorés grandement. Contrairement à Pinocchio, la marionnette qui se transforma en petit enfant, nous deviendrions de bons et sages épouvantails rêvant au bord du chemin.

Les personnages de Pierre Prevost nous invitent à battre la campagne. Ce sont les reflets de lui-même que l’artiste a semés par les champs. Il faudrait être bien grincheux pour les bouder. Ils sont si gais! Ils nous ressemblent tant. Hautains, stupides, solennels, farceurs… – Très farceurs ! La Comédie humaine en rogatons. Celui-là me rappelle quelqu’un… Mais oui… J’ai son nom sur le bout de la capsule… Et cet autre, avec sa pomme d’arrosoir… Et celui-ci, coiffé en balai-brosse…

Nos bienheureux parents, qui ignoraient les joies et les raffinements du tri sélectif, jetaient pêle-mêle métal et papiers gras. C’était avant l’Europe. Une autre époque, plus innocente, plus contrastée, qui laissait en paix le roquefort et les moines du mont Athos… Pierre Prevost a fait le choix de la gratuité et du bonheur. C’est un courage d’un autre temps, lui aussi, et qu’il faudrait remettre à la mode. Ses épouvantails ne lui rapportent pas d’argent. Ils ne sont pas subventionnés par le ministère, par entretenus comme des demoiselles. Ils s’ébattent sur la presqu’île de Gaillac, pour rien, pour le plaisir. Celui de tous. Frémissant dans le vent de la liberté, ils chassent les oiseaux noirs de ces bas instincts que sont l’égoïsme ou la cupidité. Et ils protègent le paradis où s’épanouit notre joie simple et sereine d’exister.

[Serge Sanchez]