Mon lieu de travail voit souvent passer des visiteurs. Certains regardent, d’autres aiment à emmener des images, fixes ou animées… Certains collectionnent ces images, les montrent. D’autres me les envoient afin que les montre également. Bref…
LADEPCHE le 13 mai 2018
Retour, enfin, à la case «Art en vitrine»
Carte blanche à pierre prévost
À défaut de grives, on peut toujours déguster des merles. Et en faisant contre mauvaise fortune bon cœur face à la fermeture à répétition d’enseignes, on se dit que les initiatives du plasticien Pierre Prévost peuvent compenser l’absence, autant que faire se peut. En résumé et pour faire simple : le futur immédiat du centre historique passerait-il par le retour en grâce de l’opération «Art en vitrine» ?
On se souvient que quelques années en arrière – même si la situation de vide n’était pas aussi criarde qu’aujourd’hui – le même avec la complicité d’une commerçante du centre-ville avait initié le temps d’un été «Art en vitrine» autour de l’idée simple d’y donner à avoir ses étranges animaux de brique et de broc. «Je pense que c’est intéressant pour les passants qui ainsi ne butent pas sur des vitrines vides ou remplies de photos autocollantes, mais aussi pour les bailleurs car les expositions donnent un aperçu de ce qu’est la boutique à d’éventuels loueurs», analyse Pierre Prévost.
Depuis ce début de semaine, il a repris le taureau par les cornes dans la vitrine de la boutique Cache-Cache, fermée depuis le départ annoncé de l’enseigne route de Montauban.
«J’ai été mis en contact avec la propriétaire, Mme Viguié, par le service commerce de la communauté de communes, puis nous nous sommes vus et tout a parfaitement fonctionné dans l’esprit», explique l’artiste-étalagiste. Pour preuve, la propriétaire lui permet de stocker des oeuvres dans la boutique et lui a laissé un jeu de clefs afin qu’il gère l’animation de la vitrine à son gré. Ce qui pour lui est parfait. «Même si ce n’est pas une vitrine commerciale, une exposition doit évoluer et être régulièrement changée pour capter l’attention des passants», poursuit Prévost. Ce qu’il compte bien faire. Mais comme il n’est pas homme à loucher sur son seul nombril, dans la seconde partie de la vitrine, il donne à voir des travaux qu’il a réalisés par des écoliers d’une classe de primaire.
Son idée étant bien, justement, de montrer un maximum de travaux d’enfants dans un maximum de vitrines. Manière de faire de la ville une exposition à ciel ouvert pouvant inciter les familles à (re)venir dans la bastide.
L’idée a de quoi susciter l’intérêt. Encore faut-il qu’au grain à moudre s’ajoute la poire pour la soif. «Je voudrais fonctionner comme un étalagiste de la création, mais on n’a pas encore discuté finances avec la collectivité», tranche Pierre Prévost.
Les choses se mettent en place petit à petit, comme souvent. Pour l’instant, mais il espère que les choses n’en resteront pas là, l’ancien Cache-Cache est la seule vitrine qu’il a à se mettre sous ses dents gourmandes de créativité. L’effet boule de neige pouvant cependant intervenir très vite.
J.-P. C
Le Villefranchois octobre 2013
Pierre Prévost : foin du bronze et foin de la culture !
Le sculpteur de Léonard trouve son matériau dans les décharges et son inspiration dans la liberté, deux espaces de moins en moins accessibles. De cette double transgression, il tire une œuvre sans prétention. Juste drôle, émouvante et poétique.
« Je me méfie des fauteuils trop confortables ; ils incitent à pontifier. » A l’emphase, Pierre Prévost préfère la formule, l’anecdote ou l’éclat de rire pour évoquer son art. Son art est léger, ses sculptures en fer blanc sont légères, son discours est léger. Pierre Prévost est léger. Léger n’est pas superficiel. Le sculpteur de Léonard, près de La Rouquette, a décidé un jour de se débarrasser définitivement des pesanteurs du monde de l’art officiel et de la culture « avec un grand Q ! » (ça le fait beaucoup rire), après avoir goûté au confort des galeries d’art et aux petits fours compassés des inaugurations. « Je me suis retrouvé dans le rôle de l’artiste, avec un costume qui ne m’allait pas », explique-t-il.
C’est pourtant un rôle que Pierre Prévost a désiré. Formé aux Arts Appliqués, qui ont fait de lui un technicien, un artisan produisant de petites séries d’objets design « utiles aux Parisiens », il a décidé un jour de faire de l’art. La conversion s’est opérée au début des années quatre-vingt-dix. « Il s’agissait pour moi de passer du commerce et de l’industrie aux beaux arts. » Mais on ne se décrète pas artiste, on le devient. Pierre Prévost a pris le temps de devenir sculpteur, en produisant des œuvres qu’il ne montrait pas, tout en travaillant sur des chantiers du bâtiment qui le nourrissaient. Ce n’est qu’une fois doté des prémices d’une œuvre — des écorces peintes — qu’il accéda aux expositions et galeries. « Là, je me suis aperçu que cela ne me convenait pas du tout. C’est un système dans lequel les artistes doivent entrer dans des catégories identifiées, où l’on est en compétition. C’est un milieu fermé, un placard. Je voyais bien que les gens qui s’intéressaient à mes œuvres étaient toujours les mêmes, tous de la même classe sociale que moi, bourgeoise. Moi-même j’étais enfermé ; je ne pouvais même pas rencontrer les gens qui achetaient mes œuvres. Dans un tel système, de quelle façon aurais-je pu être utile aux autres ? Comment aurais-je pu apporter mon art au plus grand nombre ? »
Héritage probable de parents militants communistes, Pierre Prévost ne conçoit l’art qu’accessible à tous. En tournant le dos aux galeristes, le sculpteur a gagné en liberté ce qu’il a perdu en force de vente. De cette liberté que le Parisien était venue embrasser dans la campagne aveyronnaise dans les années soixante-dix. Restauration de fermes à l’abandon, vie en communauté et utopie libertaire. « Ici, j’ai surtout découvert un espace. Il a fallu que j’y invente une façon de vivre qui ait un sens. » De ce besoin d’émancipation, de cette liberté, de cet espace, l’artiste a conçu l’idée que désormais, ses œuvres ne seront exposées qu’en plein air, au vu et au su de tous les passants. Les sculptures de Pierre Prévost s’épanouissent dans les plus vastes galeries d’art qui se puissent : la nature de Léonard, une rue, une place de ville ou de village, les abords d’un festival… « Je me suis aperçu que ma sculpture a de la gueule dans ces décors. » Ses œuvres se donnent à voir en des lieux où l’on vient en toute liberté, où le silence obséquieux n’est pas de rigueur, où le soleil, le vent et la pluie s’invitent à loisir, où les oiseaux, même, déposent parfois leurs fientes sur ces perchoirs de luxe. Les sculptures elles-mêmes déambulent dans les chemins de Léonard, grimpent au arbres, migrent d’un lieu d’exposition à un autre. Normal, l’art de Pierre Prévost est vivant. Mieux que cela, ce n’est pas le public qui vient voir les sculptures, ce sont les sculptures qui observent les passants. C’est probablement de cette caractéristique qu’elles tirent leur incroyable expressivité. Ces foules et ces bestiaires faits d’assemblages de vieux seaux, bassines, brocs, casseroles, tuyaux de poêles, moules à tarte, fourchettes, selles de vélo, capsules de bouteilles, couvercles et autres boîtes de conserve ont tant de choses à exprimer : la surprise, la rage, la crainte, le dynamisme, l’hébétude, la suspicion, la bienveillance, la curiosité. Tant d’expressions dans des objets tirés du rebut des décharges ! Ç’en est troublant. « Que mes sculptures suscitent de l’émotion, je veux bien, mais je ne voudrais pas qu’elles bouleversent le public. Il peut s’installer un dialogue entre la sculpture et celui qui l’observe, mais c’est moi qui donne le ton de ce dialogue et, généralement, je fais dire à mes sculptures des choses rigolotes et gentilles. Je ne fais pas de l’art pour assommer les gens. » Pierre Prévost fait de l’art pour s’amuser. « Ce fut une grande révélation, le jour où j’ai découvert que l’on pouvait gagner sa vie en s’amusant. »
Comme un enfant malicieux, le sculpteur de Léonard s’amuse aussi à brouiller les pistes. Tantôt facétieux, tantôt émouvant, tantôt poète (« Je n’utilise pas des seaux à charbon, des tuyaux et des casseroles, je sculpte le souvenir de ce qu’ils ont été. »), tantôt engagé (il pratique le street art qui consiste, entre autre, à afficher clandestinement des slogans sur les murs des villes). Pierre Prévost a voulu s’émanciper des chapelles et des marchands d’art. Il a réussi. Même ses amis de l’art brut, mouvement pourtant très ouvert qui se prétend indemne de toute culture artistique, rechignent à l’accueillir dans leurs rangs. « Tu ne fais pas de l’art brut, tu as un site internet ! », lui disent-ils.
Et alors ?
Novembre 2007 Folk art sans frontière « Prendre les matériaux pour guide ! »
Partout où semblent reculer les formes traditionnelles de l’art populaire face au nivellement de la société marchande surgissent des manifestations de créations singulières. C’est un peu comme si la résistance au « progrès » produisait partout les mêmes effets : un retour archaïque aux matériaux élémentaires qui à leur tour dictent des formes. A ce titre, entre l’art populaire défunt et le pôle idéal de l’Art Brut, naîtraient les créations spontanées d’autodidactes marginaux dont les œuvres, nées des mêmes contraintes et s’appuyant sur les mêmes matériaux, fonderaient les bases d’une internationale de l’esthétique en résistance à la déshumanisation du monde !
Belle hypothèse, certes ! Mais qui a le mérite, au delà de la multiplicité des concepts d’Art Brut, d’art singulier, autodidacte, Hors les normes, Neuve Invention, outsider,…etc., de réhabiliter une des sources trop souvent occultée de ces créations : l’art populaire. Un autre avantage, et non des moindres, est de dépasser les étroites frontières franco-françaises avec la notion de Folk Art qui retrouve alors toute sa pertinence.
Un créateur hors frontières
L’œuvre et l’univers de Pierre Prévost, créateur singulier français vivant aux frontières du département de l’Aveyron et du Lot, en seraient une illustration. Son inspiration et ses créations le rapprochent en effet des meilleures réalisation du Folk Art américain tandis qu’il pourrait également revendiquer sa filiation avec les auto-constructeurs et autres anarchitectes du Nouveau Monde.
Aller chez Pierre Prévost c’est déjà toute une aventure initiatique : au milieu de nulle part, on emprunte un étroit chemin de terre, cahoteux, bordé de petits murs de pierre. Brusquement surgissent de part et d’autres des masques peints sur des couvercles de casseroles, des formes découpées dans des tôles, des épouvantails filiformes qui peu à peu s’amassent, s’agglutinent pour former des familles, des clans, des hordes. Les chemins adjacents sont eux-aussi peuplés de groupes anthropomorphes qui se laissent voir au milieu des arbres de façon plus ou moins fugitive. Les petites prairies à moutons qui surgissent de place en place le long de la route se révèlent bordées d’extravagants piquets de clôture qui représentent un fabuleux bestiaire que plusieurs Arches de Noé n’auraient pu contenir !
Enfin c’est l’arrivée devant une succession de petites bâtisses qui semblent sortir d’un conte de fée, les maisons d’Alice au Pays des merveilles. Devant, un vaste espace où, au delà des arbres, la vue pourrait s’échapper à l’infini vers les grands causses aveyronnais si ce n’est qu’en lisière d’un petit bois s’étale une insolite construction, un immense atelier de plein air dont les structures visibles sont des troncs d’arbres liés en croix comme autant de rustiques contreforts d’une cathédrale populaire. Les murs sont aussi composés de bois bruts d’essences différentes tandis qu’une alternance d’espaces ouverts et fermés rythme le bâtiment.
Les matériaux comme guide
Au dehors, une foule de personnages semble escorter le visiteur à moins qu’elle ne l’attende ou même l’espionne. L’intérieur est un fabuleux capharnaüm plein à craquer d’une création ininterrompue d’une inventivité à couper le souffle. Des centaines et des centaines de pièces de toute nature, de toutes formes, de tous formats. La création chez Pierre Prévost est comme la nature chez Aristote : elle a horreur du vide ! Certes, les sculptures ont la part belle ! Mais d’autres expressions plastiques aussi avec des papiers marouflés sur ardoises, des découpes d’aluminium qui s’assemblent pour former d’immense panneaux aux archaïques et énigmatiques messages.
Mais cette masse proliférant ne peut rester enfermée : partout des sculptures animalières et anthropomorphes colonisent l’espace environnant. C’est une véritable armée populaire et disparate qui, en ordre dispersé envahit le sous-bois, foultitude de gueux merveilleux, de glorieux va-nu-pieds, splendides déclassé dont les couleurs et les expressions font oublier la pauvreté des matériaux et la simplicité des assemblages. Car toute cette Commedia dell’arte vient de nos rebuts, de nos poubelles et des décharges d’ordures ! Revenons en effet sur les fondamentaux de l’art populaire rural incarnés en Pierre Prévost. Ce dernier, comme cela se passait dans le monde agricole traditionnel, pratique le recyclage permanent de tous les objets de la vie domestique. Ajoutons qu’aucune sculpture n’exige un degré de technicité et un outillage qui dépassent le bricoleur ordinaire : le liteau de bois, la chaise démantibulée, la capsule de bouteille de bière, la cannette de soda, la boîte de conserve, le tuyau de poêle sont ses ingrédients favoris et la vis « Parker » sa cheville ouvrière.
Mais d’où peut donc provenir cette formidable inventivité ? De quelle imagination délirante? Pierre Prévost va donner raison à Jean Dubuffet, il ne s’agit pas ici d’imagination : « Ce sont les matériaux qui me guident ». Et ce n’est pas une boutade, il faut prendre ces propos au pied de la lettre. A l’entrée de ses terrains, camouflés par une palissade de bois, Pierre Prévost a entassé les objets récupérés dans les décharges. Parlant d’eux, il dit : « C’est mon vocabulaire ! ». Car il ne suffit pas de récupérer des guidons et des selles de vélo mais de les faire parler en les déclinant à l’infini. Plier une capsule de bière ou un bouchon de plastique pour en faire un oeil est une chose, l’essentiel est d’en rendre les multiples expressions possibles ; ce sont les infinies variations des matériaux entre eux qui se révèlent riches d’une communication indéfinie. La poétique du matériau nous rend présent l’essence du langage.
L’universalité du fétiche
Cet art n’est donc ni enfantin ni spontané. S’il nous apparaît tel c’est qu’on nous a occulté sa généalogie. L’émotion qui nous saisis devant ces oeuvres ludiques s’apparente au malaise devant le retour du refoulé car un spectre hante l’Art Brut : l’art populaire. Ce n’est donc pas pour rien que Pierre Prévost qualifie ses sculptures de « fétiches ». Nous nous émerveillons devant leurs formes inventives et ludiques, nous nous extasions des sublimations subies par les objets les plus banals en oubliant leurs usages antérieurs.
Une anecdote ici est révélatrice. Un jour, un africain vient visiter le site et s’exclame : « Tu es Féticheur ! Quels sont tes Esprits ? ». Impossible pour lui de croire qu’il s’agit d’un jeu gratuit, seulement esthétique ! Il y a nécessairement autre chose ! Ainsi, l’art populaire comme les arts dits premiers – et peut être alors aussi l’Art
Brut ? – avant d’être l’objet d’une contemplation et d’une jouissance désintéressées ont été résolument utilitaires ! Spirituellement utilitaire dans notre cas sous la forme du fétiche qui met en contact avec des forces naturelles occultes. Matériellement utilitaire car dans les campagnes, dans le monde rural traditionnel en voie
de disparition, rien ne se jette, tout peut servir, tout se recycle ; l’art étant alors la forme ultime de récupération du déchet dont l’épouvantail est le meilleur exemple !
Mais Pierre Prévost est aussi le paysagiste de la décrépitude du monde paysan, le jardinier des décharges rurales, le metteur en scène d’une vie à l’agonie. Ses oeuvres sont bien des fétiches qui exorcisent une nature à l’aube d’un abandon, une nature dénaturée qu’ils vont de nouveau ré- enchanter.
Mais qui est donc Pierre Prévost ?
Il est né le 19 juin 1942. Comme il me l’a souvent dit, il ne peut se revendiquer de l’Art Brut : il a « fait les Écoles » ! Élève des Arts appliqués de Paris entre 1959 et 1965, il a tâté des Beaux-Arts en 1965-1966 et obtenu un Brevet de technicien supérieur en Esthétique industrielle en 1965. Il mène alors une activité de designer. Mais ce qu’il partage avec de nombreux créateurs d’Art Brut, c’est la rupture qui survient à l’âge mûr. « Vers la cinquantaine quand j’ai commencé la sculpture, ma nouvelle identité m’a sauté sur l’os comme un chien sur le paletot… Je me disais cette fois je vais faire tout ce que j’ai envie . En toute liberté. Sans aucune retenue, que c’était là tout l’intérêt de la chose. M’en foutre et d’avantage si je le pouvais pour inventer ma façon de dire… J’allais devoir désacraliser si je voulais me donner de l’air… »
C’est la rencontre avec un espace, un lieu à investir qui sera le déclencheur : « J’ai découvert ce paysage avec juste une petite ruine au milieu d’un grand silence immobile… Comme en pleine mer, j’étais sur terre. Jamais encore je ne m’étais senti si imbécile d’être heureux. Je me suis dit c’est ici que je deviendrai… J’ai acheté l’endroit et retapé la petite grange pour m’abriter de la pluie… Petit à petit, au fil des ans, j’ai agrandi devant, derrière, construit des à côtés : l’atelier, le poulailler, le pigeonnier, des abris bois… L’endroit n’est plus si droit et le paysage n’est plus si sage ! »
Parfois, Pierre Prévost se compare non à un clandestin de l’art mais à un gangster comptant sa recette loin du pays de ses turpitudes : « Pour moi qui montre aux amateurs et les invite à s’égarer, le lieu témoigne et m’innocente. »
Bâtisseur ou sculpteur, le rêve de Pierre Prévost serait de voir un voisin agriculteur se mettre à son tour à l’ouvrage, construire comme lui sa maison avec des arceaux de serre abandonnés, planter des piquets de clôture anthropomorphes, renouer avec la tradition de l’épouvantail. Ré-enchanter le monde c’est d’abord y retrouver le plaisir de faire sans se soucier d’y chercher une autre forme de reconnaissance. Ces oeuvres de plein vent ont aussi pour fonction de désacraliser la sculpture, de rendre vain tout discours esthétique et par voie de conséquence d’ignorer les querelles de mots autour de l’Art Brut.
On peut alors rêver d’un monde où les girouettes des fermes françaises vrombiraient à l’unisson des « whirligigs » américains – ces sortes de tourniquets qu’on installe dans les jardins et que le vent anime – en une véritable « Internationale du Folk art » !
Jean-François MAURICE
Bélaye, février 2007.
Mars 2004 Serge Sanchez
Foules en forêt ou les résurrections de Pierre Prevost,
Pierre Prevost a choisi d’oublier ses études artistiques. Mais il est long de désapprendre. Il y faut de la patience, de la discipline, du recueillement. De surcroît, le contact avec la nature lui a sans doute permis de renouer avec une inspiration de l’instant, qui mêle fantaisie, enthousiasme et invention. Dubuffet, à sa très haute manière, s’était déjà mis en quête de racines sauvages, spontanées. Est-ce donc pour retrouver en lui une sorte d’instinct créateur à l’état brut, délivré d’inhibitions techniques ou théoriques, que l’artiste s’est retiré sur les hauteurs proches de Villefranche de Rouergue ?
Un mauvais chemin tracé dans une forêt de chênes et d’érables mène à l’atelier. Longtemps avant d’arriver, d’étranges créatures accueillent le visiteur. Elles sont là, derrière un muret de pierres qui bordent le sentier, couronnées de feuillages. Elles forment l’avant garde silencieuse, immobile, d’un peuple étrange et naïf, d’une population de bons sauvages peinturlurés et malicieux . On le comprend bientôt : si Pierre Prevost s’est retiré dans la solitude, c’est pour y créer des foules. Curieuse démarche. Mais les quidams rassemblés ici ne seraient-ils pas autant d’instantanés, d’autoportraits intérieurs de l’artiste lui-même ? Savoir…
Voici trois géants blancs aux yeux de capsule, au sourire dessiné à la pince coupante. Leur chevelure de fil de fer donne enfin au mot indéfrisable son véritable sens. Badigeonnés de blanc, ils semblent des communiants montés en graine, des infirmiers en goguette dont la présence par ces bois est infiniment mystérieuse. Voici des têtes dessinées sur des couvercles, maquillées au ripolin et clouées sur un poteau de bois.
Nous arrivons. A droite, la maison posée sur un promontoire, comme une déferlante d’herbes et d’arbres. Au fond, l’atelier aux murs de rondins dressés ainsi que des tuyaux d’orgue, longue et magnifique bâtisse faite pour tamiser et accueillir la lumière soyeuse du dehors. Entre les deux, des totems dressent leurs silhouettes sur une sorte d’agora champêtre. Les Indiens hopis les auraient adoptés. Sont-ils Dogons ou Baoulés ? Ni l’un ni l’autre. Ces nobles créatures sont des arlequins. Entendez qu’elles sont bricolées de pièces d’origines diverses. Bouts de ferraille, éclats de plastique, bouteilles vides, boîtes de conserve, ossements sont leurs parentèles… Résidus de pique nique, objets brisés, pièces de mécanique sont les grands noms de leur généalogie. Nulle Vénus en ce troupeau. Pas d’Apollon non plus. Ces trognes sont des trognons. Ces troncs des troncs d’arbre. Leur origine remonte à la poubelle. Les musiques en forme de poire ou la valse du mystérieux baiser dans l’œil d’Eric Satie plairaient à cette foule échappée du royaume de Guignol.
Mais pour quelle cérémonie muette s’est-elle assemblée ici ? Regardez les bien, ces marquis de la soudure, princes de la ficelle et barons de la ligature…Leurs frères dorment encore à la décharge voisine. Eux sont ressortis du sol comme feront les bons chrétiens au jour de la Résurrection. Quel étonnement de revoir le jour ! Fraîchement éblouis après un trop long sommeil, ils savourent avec amusement leur récente métamorphose. Cette populace née de la colle et du pinceau ne s’habille pas de marbre. Elle n’habite ni le Louvre ni la Villa Borghèse. L’éternité est trop vaste pour elle. L’instant lui suffit. Elle se sait éphémère. Alors elle danse ?
Serge SANCHEZ