Dedans Dehors Cahors 2004


Un art de plein champ

affiche03.jpg L’Atelier de Gazogène expose les sculptures de Pierre Prévost du 15 au 30 mai (63 rue Deloncle à Cahors ; sur rendez-vous, tél. 05 65 23 96 03). Mais, dans le même temps d’autres sculptures seront visibles dans quelques vitrines de la rue Joffre, du boulevard Gambetta jusqu’à la rue Deloncle. Elles peupleront aussi la Médiathèque où, dans l’entrée, elles accueilleront les visiteurs. Car ces sculptures ne peuvent rester dans un espace trop confiné; il leur faut le grand air, retrouver la liberté qui a présidé à leurs créations.

Ces « fétiches » – Pierre Prévost préfère les appeler ainsi – sont en effet de drôles de choses ! Imaginez une cohorte de personnages, voire d’animaux, tous plus expressifs les uns que les autres. Réjouissante et ludique vision. Or, dès qu’on les détaille, surprise: les matériaux employés ne sont que vieux bidons, ferrailles de récupération, selles de vélo. Plus prosaïquement parfois ce ne sont que capsules vissées, couvercles pliés, gaine électrique. Sans oublier les tuyaux de poêles!

Paradoxalement, c’est la structure même de l’objet qui produit la création et guide l’imaginaire. Le geste n’est que le prolongement de la forme. C’est sans doute ce qui donne aux oeuvres leur incroyable liberté. La matière n’est pas soumise à je ne sais quel idée préalable mais l’inventivité est liée à la trouvaille d’une analogie plastique entre des objets. Puis Pierre Prévost décline cette poésie du matériau jusqu’à l’épuisement formel.
Certes, d’autres créateurs ont sublimé le rebut pour en faire oeuvre d’art mais Pierre Prévost est vraiment à part: avec le matériel du bricoleur moyen, il fait feu de tous fers et retrouve la poésie naturelle propre à l’art populaire. Ces « fétiches » semblent s’inscrire dans cette tradition à mi-chemin des épouvantails de nos campagnes et des totems de plus exotiques contrées.

Mais qui est Pierre Prévost ? Un artiste « brut » selon Jean Dubuffet ? Un « singulier» comme on dit aujourd’hui ? L’homme a trop d’honnêteté pour se qualifier ainsi! Il sait bien combien il est long de désapprendre. Mais ayant commencé tardivement la sculpture en plein champ, il n’a pas eu de temps à perdre ni à s’embarrasser d’académisme.

[Jean-François MAURICE]


Un bestiaire de récup’ observera les passants à travers les vitrines

affiche04.jpg Pierre Prévost lâche son bestiaire. Le sculpteur-plasticien a délivré un billet de sortie de d’atelier à ses crocos, ses boas, ses poules et ses moutons avec ordre de coloniser des commerces de Rieupeyroux du 2 décembre au 29 janvier. Aux 45 vitrines qui chacune recevra en pension complète une oeuvre de l’artiste s’ajoutera une exposition du même tonneau (de mêmes gamelles et mêmes bidons plutôt) dans le vaste bail de la salle de cinéma de la ville.

L’Association culturelle Aveyron-Ségala-Viaur est à l’origine de ce projet d’invasion animale et sculpturale. A toute vieille selle de vélo, seau à charbon, paire de Fourchettes et bouts de tuyau, Prévost garantit sa réincarnation en animal phénoménal qui mange du fer et fait du métal. Et il a trouvé là un lieu d’expression (une diversité de lieux en fait) à la taille de son esprit qu’il tient toujours à la marge des espaces consacrés : « Exposer dans des commerces me permet de vraiment investir la ville, de déborder l’espace habituel, convenu, d’une galerie, sur l’espace public. On peut rapprocher ça de que font les jeunes lorsqu’ils taguent dans la rue : ils s’expriment dehors, pas dedans. »

Les serpents, les brebis et les insectes de Pierre Prévost, sont des tags en trois dimensions, les fils de la récup’, enfants du ferrailleur et du chiffonnier, nés du côté de Léonard, à La Rouquerte, où réside l’artiste. Ils veulent bien être vus, mais en liberté. La salle de spectacle de Rieupeyroux ne leur suffira donc pas; les plus monumentaux d’entre eux se retrouveront à bavarder à l’extérieur tandis que leurs semblables de taille plus modeste agiteront leurs couleurs dans le ciel des vitrines.

Certains, note en souriant Pierre Prévost « ont pris l’ascenseur social; ils doivent être cités en exemple ». C’est vrai, car du piquet de clôture sur lequel il les totémise habituellement

dans ses expos « agricoles » au long d’un fil barbelé, il les promeut cette fois au piédestal, à la lumière d’un spot et à la chaleur d’une échoppe. Preuve que l’on peut tenir un discours politicoplastique cohérent avec trois vieilles boîtes en fer de vocabulaire !

[ÉLIAN DA SILVA, 27 novembre 2005]

Déchetterie fermée à l’art

L’art de Prévost se nourrit de ce que rejette la société de consommation. Le problème avec l’avènement du tri sélectif et du recyclage, c’est que les déchetteries lui mènent une concurrence déloyale et ne s’ouvrent pas à lui comme le faisaient généreusement les anciennes décharges. Pierre Prévost a beau s’en plaindre, demander des dérogations rien à faire, la déchetterie reste insensible à la cause artistique, hermétique au recyclage par la sculpture, à la transmutarion des métaux vulgaires en brebis moqueuse ou en coquelet criard.

Il pousse même l’idée, et se dit qu’autrefois de petites gens vivaient (comme lui) sur ce tas d’ordures pourvoyeur d’un peu d’argent : ils étaient chiffonniers, ferrailleurs, brocanteurs… Et ne le sont plus. Du temps que Limogne avait encore sa décharge, les alternatifs du coin lui avaient donné un nom : ils l’appelaient « La boutique ». Personne ne regrettera ce temps où l’on a fait n’importe comment et n’importe où avec l’ordure ménagère et le déchet. Mais on regrettera qu’aujourd’hui, l’artiste qui leur propose une deuxième vie soit contraint de courir les vide-greniers afin d’y acheter les pièces nécessaires à l’exercice de son art.

[ÉLIAN DA SILVA, 27 novembre 2005]